Témoignage : Henri Sturges

Découverte d’un ancien combattant allemand au destin extraordinaire

Le mardi 16 mars M. Henri Sturges est venu à l’école de Distroff nous présenter l’histoire de sa vie. Cet homme a eu un destin hors du commun, inimaginable. La voici, raconté comme un conte par celui qui nous a demandé de l’appeler : Papi Henri.

« Il était une fois en 1931 à Kordel près de Trèves en Allemagne un petit garçon de 4 ans et demi. La vie alors était dure, rien à voir avec celle que nous connaissons actuellement. Pour jouer au football nous avions une boîte de conserve ou une balle de chiffon fabriquée par ma mère …
Quelquefois des enfants plus riches venaient avec une belle et grosse tartine pour frimer près de ceux qui n’avaient rien. Je leur disais que mon papa m’en donnera deux plus grosses que les leurs.
Quand il faisait froid il fallait garder le manteau pour dormir. Mon père enroulait une briquette dans du papier humide pour économiser le charbon.
Notre Père Noël était bizarre et pauvre … Nous ne recevions que quelques noix, des noisettes, des rondelles de pommes séchées, mais je le soupçonnais de les avoir pris dans les réserves du grenier.
Je n’avais qu’une seule paire de chaussures cloutées qui étaient vérifiées chaque samedi.
Malgré tout, nous étions insouciants et je ne comprenais pas les adultes et leurs problèmes, tel le chômage. Pourquoi maman passait-elle la nuit derrière sa machine, à coudre des habits pour les autres ? Chaque soir, en rentrant, pourquoi papa répétait-il la même chose :  » Toujours rien « .
En 1932 après Pâques ce fut la rentrée scolaire avec beaucoup de pleurs et la difficulté de lâcher la main de maman. Les petits admiraient leurs aînés âgés de dix ans qui portaient un uniforme (chemise brune, culotte courte en velours côtelé noir) et un poignard où était gravé  » Blut und Ehre  » (Sang et honneur que nous ne comprenions pas) Lorsque j’ai eu 13 ans la guerre a commencé et avec tout ce qu’on m’avait appris j’étais prêt à me battre. J’ai dû attendre d’avoir 16 ans et demi pour être enrôlé.

C’est ainsi que je me suis retrouvé en Normandie lors du débarquement du 6 juin 1944. Le même jour j’ai été fait prisonnier. J’ai été emmené en Angleterre puis en Amérique avec mes 32 compagnons survivants de ma compagnie de 185 hommes. Après la fin de la guerre nous reviendrons en France mais pendant plus de 2 ans nous serons contraints à des travaux de reconstruction. J’ai tenté en vain deux évasions.
J’étais employé à Courcelles-Chaussy en Moselle quand j’ai vu passer une jeune fille à bicyclette.
Dans son panier il y avait des pivoines. Ne connaissant que quelques mots de français je lui ai dit  » Oh les belles fleurs ! « D’un ton sévère elle répliqua :  » Vous en voulez ? « Elle m’en donna trois. Resté seul, comme un idiot avec mes fleurs, j’ai pleuré et j’ai repensé au mot tendresse quand ma maman me caressait la joue et que la guerre et Hitler ne nous avaient jamais appris.

Cette jeune française, fille d’un résistant condamné à mort par la Gestapo, deviendra pourtant mon épouse. Désormais celui qui ne pensait qu’à se battre comme on le lui avait imprégné sera le principal militant de la paix et de la réconciliation.

Je suis venu vous voir pour vous avertir de la terrible erreur que nous avons vécue.
J’espère les trois mots Peur, Souffrance et Mort ne resurgiront jamais mais seront remplacés par Paix Liberté et Amitié pour l’éternité.

Rescapé de ce terrible conflit mondial, j’ai fondé une famille franco-allemande, symbole très fort de cette réconciliation et de la paix retrouvée mais si fragile dans le monde.

Mais si le bien et le bonheur triomphent comme dans tous les contes, sachez mes petits amis que rien n’est jamais définitivement gagné et que vous tous devrez tout faire pour les conserver… »

 

Ta vie nous a vraiment impressionnés. Merci beaucoup pour ta venue parmi nous et pour tout ce que tu fais. Tu nous as demandé de garder ces trois mots dans notre cœur et de ne jamais les oublier. Nous te promettons Papi Henri de les faire connaître et de nous efforcer à les respecter.

Notre rencontre s’est poursuivie par de nombreuses questions car un tel destin avait éveillé notre curiosité. En voici les principales :

Q : Quel âge aviez-vous quand la guerre a commencé ?
R : J’avais presque 13 ans étant né en décembre 1926.

Q : Aviez-vous vu Adolphe Hitler ?
R : Oui, c’était pour moi le bon Dieu à l’époque, mais il est vite passé.

Q : Est-ce que Hitler vous a donné des ordres ?
R : Oui, il m’en a donné.

Q : Aviez-vous vu la ligne Siegfried ?
R : Oui, mais c’était de la rigolade : il n’y avait presque rien.

Q : Est-ce que quelqu’un de votre famille avait déjà fait la guerre?
R : Mon père a fait la guerre.

Q : Avez-vous vu votre famille ?
R : Je ne l’ai revue qu’en 1948 après avoir été délivré.

Q : Pendant la guerre aviez-vous des proches?
R : Oui, et c’était facile de s’en faire.

Q : Est-ce que vous utilisiez les chevaux ?
R : Oui, et ils ne savaient même pas ce qu’ils faisaient là les pauvres mais quelques- uns sont morts.

Q : Est-ce que vous êtes resté à la frontière franco- allemande ?
R : Non je n’y suis pas allé.

Q : Étiez- vous pilote de chasse ?
R : Non, j’étais simple soldat.

Q : Dans quel type d’armée étiez-vous ?
R : J’étais dans les batteries anti- aériennes.

Q : Où était votre campement ?
R : Près de Cherbourg.

Q : Comment vous habilliez-vous ?
R : Nous étions en uniforme.

Q : Quels genres d’armes aviez-vous ?
R : Des fusils, des obus, des grenades, mais moi j’utilisais une mitraillette.

Q : Étiez-vous en plein débarquement ?
R : Oui j’étais en première ligne.

Q : Quelles étaient les conditions d’hygiène ?
R : Nulles on n’avait rien pour dormir : alors parfois on dormait debout. Le savon n’en contenait que 10% et il y avait du sable.

Q : Étiez- vous sous-alimenté?
R : Oui, de plus en plus au fil de la guerre.

Q : Que mangiez-vous au front ?
R : De petites betteraves dans les champs, mais que l’on trouvait si bonnes.

Q : Est-ce que vous receviez des lettres et quel en était le moyen de transport ?
R : Oui, par le facteur on en recevait, mais pas souvent.

Q : Où vous réfugiez-vous sous les bombardements ?
R : Dans des trous d’obus en espérant qu’aucune autre bombe ne tombe dans ceux-ci.

Q : Est-ce qu’il y avait des français qui combattaient pour les Allemands?
R : C’était assez rare sauf les Alsaciens et les Mosellans enrôlés de force et que l’on a appelés les « Malgré-Nous ».

Q : En quelle année et quel jour avez-vous été fait prisonnier ?
R : Le 6 juin 1944, le jour du débarquement des alliés en Normandie.

Q : Où étiez-vous prisonnier ?
R : En Angleterre puis aux Etats- Unis et à Metz.

Q : Avez-vous vu des prisonniers français pendant la guerre ?
R : Oui, j’en ai vu quelques-uns.

Q : À quoi ressemblait la prison ?
R : A une pièce avec des barreaux comme toutes les prisons.

Q : Est-ce-que vous avez tué un ennemi et qu’avez-vous ressenti ?
R : Oui, un américain et j’avais les larmes aux yeux mais malheureusement c’était lui ou moi !

Q : Avez-vous été touché alors ?
R : Oui, légèrement par sa baïonnette, sous le nez.

Q : Saviez-vous mieux parler l’allemand ou le français ?
R : Je suis né en Allemagne donc je savais mieux et uniquement parler l’allemand.

Q : Quel transport utilisiez-vous ?
R : On allait à pied mes petits amis.

Q : Êtes-vous déjà allé au cimetière de Douaumont ?
R : Oui et j’y ai même été guide .

Q : Avez-vous défilé aux Champs Elysées ?
R : Non.

Q : Que pensez-vous de cette guerre ?
R : Une guerre est toujours une saloperie.

Q : Êtes-vous content qu’il y ait eu la paix ?
R : Oui, bien sûr et c’est pour cela que j’ai tout fait depuis la fin de la guerre.

Notre rencontre s’est achevée par une séance improvisée de dédicaces. Tu nous avais tant captivés que nous voulions avoir un souvenir immédiat. Là encore tes petites phrases personnalisées ne nous pas déçus nous incitant à t’imiter.

Encore merci pour tout Papi Henri et à bientôt peut-être.
Toute la classe de CM2 de Distroff et leur maître Jean- Luc Arnould

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